Les chiffres sont pas bons, Kevin

 


Roulements de tambour et communication millimétrée, la Chambre de Commerce et d'Industrie nous livre sa grande prophétie pour l'emploi régional. Le marché, nous dit-on avec un optimisme qui force le respect, ralentit à peine. Après un premier trimestre "dynamique" (on adore l'adjectif), le second nous gratifie de près de 2700 projets de recrutement. Alléluia. On sent presque le doux parfum de la reprise, le frémissement du plein emploi qui pointe le bout de son nez derrière les terrils.

Il y a juste un léger, un minuscule, un insignifiant détail qui vient gripper cette belle mécanique narrative. Un caillou dans la chaussure lustrée de nos communicants institutionnels. Fin 2024, début 2025, selon les dernières nouvelles du front de l'emploi, le nombre de demandeurs d'emploi tenus de rechercher un travail (les fameuses catégories A, B, C) dans les Hauts-de-France flirtait avec les 540 000 âmes.

Faisons un calcul simple, une de ces opérations que même un député en pleine séance de nuit pourrait réussir : ces 2700 projets miraculeux représentent environ 0,5% de la totalité des inscrits. Ce n'est plus une goutte d'eau dans l'océan du chômage, c'est une aspersion homéopathique, une brumisation de bonnes nouvelles à l'efficacité plus que douteuse.

Regardons de plus près ce grand banquet de l'emploi. Près de 1300 postes dans les services, nous dit-on. On imagine sans peine les carrières fulgurantes qui se dessinent : des CDD de quelques heures pour livrer des repas tièdes à vélo, des contrats à temps partiel subi pour aider nos aînés, secteur formidable mais notoirement sous-payé. L'industrie ? 700 projets, dont 50 dans le "recyclage de batteries". De quoi recycler les espoirs déçus d'une demi-rue à Valenciennes et se donner une conscience verte à bon compte. Le BTP, avec ses 160 projets, pourra sans doute reconstruire une ou deux illusions avant la prochaine crise.

Pendant ce temps, la région continue de caracoler en tête du chômage national, avec un taux qui danse allègrement autour des 9%, bien loin de la moyenne métropolitaine. Le chômage des jeunes reste une plaie béante et celui des seniors une fatalité poliment ignorée.

Mais ne boudons pas notre plaisir. Le but n'est pas de trouver du travail à 540 000 personnes, voyons. Le but est de communiquer. De produire du chiffre, du graphique, du post engageant sur les réseaux sociaux. Le tour est classique : on agite un lapin rutilant devant une foule pour qu'elle ne voie pas que la maison brûle. Et la foule applaudit, parce que le lapin, il faut le reconnaître, est vraiment très mignon.